Interview, rencontre avec Lionel BADET, président sortant de la SFT
Chère et cher membre,
Alors que son mandat arrive à son terme, nous vous proposons de découvrir ci-dessous un entretien passionnant réalisé avec notre président, Pr Lionel Badet, dans lequel il revient sur son parcours atypique et hors norme pour un chirurgien Urologue. Au-delà de sa spécialité, il a su s’ouvrir au monde de la transplantation et devenir une référence nationale et internationale dans le domaine des greffes d’organes.
Lionel Badet œuvre avec passion pour faire évoluer sa profession, en essayant de porter une vision humaniste où l’engagement pour le collectif et la transmission aux nouvelles générations sont essentiels.
Lionel, pour commencer, pouvons-nous revenir sur votre enfance et sur ce qui vous a donnez envie de vous tourner vers la médecine ?
Lionel Badet (LB) : Je suis originaire de Marseille, où j’ai grandi avec mon unique frère jumeau. Une belle enfance heureuse, en contact avec la nature et des activités de montagne qui occupaient quasiment tous nos week-end. J’ai effectué mes études secondaires, principalement à L’École de Provence, un établissement jésuite de Marseille où j’ai suivi un parcours chaotique entre ennui, dissipation et renvois successifs. Une orientation en apprentissage en fin de quatrième a été une option discutée mais refusée par mes parents (que je remercie sincèrement d’avoir cru en moi !) et j’ai dû finir ma scolarité dans un établissement privé réservé aux élèves dont personne ne voulait dans des établissements conventionnels. J’ai réussi mon BAC presque malgré moi et suivi mon frère qui voulait faire des études de médecine.
Nous sommes venus à Lyon après l’obtention du BAC car notre père souhaitait que nous changions d’environnement pour nous donner une chance de réussir. Je n’ai donc pas été élevé à Lyon, mais je me sens aujourd’hui profondément ancré dans cette ville et dans cette région.
Au départ, j’ai fait des sciences économiques mais cela ne m’a pas intéressé et j’ai rapidement rejoint mon frère en médecine en milieu d’année ; cela a été une révélation ! Pour la première fois, j’ai eu la certitude que j’allais faire quelque chose qui me plairait. Je me suis enfin mis à travailler et j’ai réussi à poursuivre, dès lors, sans véritable difficulté en alternant études et aides opératoires pour payer mes études. Ces aides opératoires avec Gilles Walch, chirurgien de renommée internationale en chirurgie de l’épaule, a été une expérience déterminante pour me décider à faire de la chirurgie. Nous avons passé le concours d’internant avec mon frère. J’étais pris à Lyon, lui non, et nous avons tous les deux décidé d’aller à Grenoble où il s’est orienté vers l’orthopédie et moi, l’urologie car Gilles Walch m’avait conseillé de trouver une spécialité où on phosphore un peu plus que la chirurgie osseuse et articulaire.
Comment avez-vous glissé de l’Urologie à la transplantation ?
LB : Les choix sont souvent des questions de rencontres. Mes premiers contacts avec l’hôpital universitaire et avec Jean-Jacques Rambaud, chef de service d’urologie à Grenoble, m’ont rapidement convaincu que je souhaitais un mode d’exercice hospitalier et que les dimensions de recherche et l’enseignement devaient représentaient quelque chose d’essentiel dans ma pratique à venir. C’est donc avant tout la volonté de faire une carrière hospitalo-universitaire qui s’est imposée à moi comme une évidence. A l’époque, cela se préparait par la réalisation d’un M1 puis un DEA et d’une thèse de science. Il n’y avait manifestement pas de place à Grenoble et j’ai donc entamé des recherches ailleurs pour préparer mon avenir.
C’est là que j’ai fait la connaissance de Jean-Michel Dubernard, que plus personne ne présente, et qui a accepté de me recevoir à Lyon pour discuter avec moi. Il était à ce moment-là chef de service d’urologie à l’hôpital Edouard Herriot et député. Il a accepté de donner de son temps précieux, m’a écouté et nous avons passé plus de deux heures dans son bureau. Au terme de cette rencontre, l’avenir s’éclaircissait ! En effet, il me proposait de m’engager dans une formation scientifique en transplantation et plus précisément, sur la greffe de pancréas pour développer une approche de thérapie cellulaire par injection d’îlots de Langerhans, me promettait un poste de chef de clinique après une période d’essai sur Lyon et me laissait l’espoir de soutenir une carrière HU, si j’étais jugé à la hauteur des espérances qui étaient fondées sur moi. Une autre rencontre a été déterminante : Pierre-Yves Benhamou, endocrinologue très impliqué dans la recherche sur les îlots, m’a pris sous son aile à Grenoble pour la réalisation de mon DEA et pour l’encadrement de ma thèse de sciences que j’ai réalisée à Oxford dans le laboratoire du NDS dirigé par Sir P Morris et encadré par D Gray. Cette période a été celle de la création du groupe GRAGIL par Pierre-Yves et Thierry Berney, qui est devenu le réseau international le plus important impliqué dans la greffe d’îlots de Langerhans. Oxford aura été marqué par dix-huit mois de recherche expérimentale dans un environnement très favorable.
Après votre internat, vous êtes revenu à Lyon pour attaquer votre clinicat. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
LB : Après une lune miel en activité de recherche à Oxford, le retour sur Lyon en mai 2000 a été marqué par une activité clinique très intense et sur tous les fronts : prélèvement, greffe de reins et de pancréas, accès vasculaires, chirurgie rénale, participation aux groupes de travail de l’EFG (devenue ABM par la suite), enseignement de toutes natures, … C’est Xavier Martin qui a assuré ma formation chirurgicale et qui a plus que largement contribué à faire de moi ce que je suis aujourd’hui. Je dirais que Max Dubernard est celui qui m’a ouvert les portes du service et que Xavier Martin est celui qui m’a accompagné dans ma formation, dans mon développement et dans mon déploiement. Tous les deux ont joué un rôle essentiel, qui me lie indéfectiblement à eux. J’étais allé à Oxford pour permettre la création d’un laboratoire d’isolement d’ilots à Lyon mais les conditions n’étant localement pas vraiment favorables. Nous avons donc décidé que ce serait Grenoble et Genève qui assureraient cette activité pour le réseau GRAGIL et nous avons concentré à Lyon notre énergie sur le développement de la greffe de pancréas total pour atteindre 35 greffes par an et faire de Lyon le premier centre Français de greffe pancréatique. Dans le même temps, Max Dubernard m’a demandé de m’impliquer dans un nouveau domaine d’activité : les greffes composites, essentiellement de membre supérieur et de face.
Comment expliquez-vous qu’un chirurgien urologue s’implique dans les greffes composites ?
LB : Le service de Lyon s’appelle « service d’urologie et de chirurgie de la transplantation ». Max Dubernard a été élevé au grain de la transplantation comme discipline à part entière, au-delà des spécialités d’organes. Il a été à bonne école puisque c’est à Boston qu’il a fait son travail de recherche et sa mobilité, à la même époque que Roy Calnes de Cambridge, encadré par Joseph Murray. Celui-ci a eu, je le rappelle, un prix Nobel partagé pour ses contributions en transplantation et comme réalisateur des premières greffes de rein dans le monde au début des années 1950. On doit se souvenir que Joseph Murray n’était pas urologue mais chirurgien plasticien. Dans cette mouvance, Dubernard a eu l’intuition qu’après les greffes qui sauvaient la vie et amélioraient la qualité de vie, la société avait suffisamment évolué pour qu’on puisse proposer la greffe dans des conditions de handicaps majeurs qui s’apparentent à des morts sociales.
J’ai eu la chance d’assister et de participer aux premières greffes de mains à Lyon et de face à Amiens avec l’équipe de Bernard Devauchelle. En 2000, les chirurgiens de la main savaient faire des replantations de membres depuis 30 ans mais aucun n’avait sérieusement envisagé de faire un programme de greffe sur le sujet, une barrière liée à l’utilisation de l’immunosuppression et à une absence de culture de la greffe. Dubernard puis moi dans la foulée nous sommes inscrits comme des ‘passeurs de témoins’ en donnant à une spécialité totalement en dehors des activités de prélèvement d’organes et de greffes les outils et les interfaces qui permettent de réussir puis dans un second temps de s’autonomiser. C’est là le vrai objectif que nous nous sommes fixé. C’est ce que nous avons fait pour les mains, pour la face, plus récemment pour le larynx et demain pour les greffes d’utérus et de pénis. Nous ne l’avons pas fait seul et il ne faut pas oublier de parler de l’investissement majeur du service d’immunologie et de la transplantation de Lyon, dirigé par Emmanuel Morelon (qui est une des grandes rencontres de ma vie professionnelle et personnelle) qui assure toute la partie médicale et le suivi, sans qui cette aventure n’aurait jamais pu se poursuivre.
Pouvez-vous nous parler de la Société Francophone de Transplantation, dont vous êtes le président depuis deux ans ?
LB : La Société Francophone de Transplantation s’enracine dans une histoire qui remonte aux années 70 lorsque le Pr René Küss a souhaité avec d’autres de ces collègues créer une société Française de transplantation afin de rendre lisible et de soutenir les travaux cliniques et de recherche expérimentale réalisés en France dans le domaine de la transplantation d’organes puis de tissus.
Chemin faisant et dans une volonté d’élargissement la société Française est devenue Francophone en 2000 pour mieux s’ouvrir à la Francophonie.
La SFT regroupe aujourd’hui environ 500 membres cliniciens et chercheurs impliqués dans tous les domaines d’activité du don et de la transplantation des différents organes et de tissus. Dans un mouvement d’ouverture et d’échanges la société s’est ouverte depuis 2 ans aux associations de patients qui interviennent principalement au sein de la commission d’interface SFT/ association de patients dont les axes de travail s’articulent autour de la communication, du plan greffe et du suivi des patients transplantés. Neuf commissions permanentes organisées en groupes de travails s’interrogent et proposent des recommandations ou des avis d’experts dans des domaines aussi complémentaires que la recherche clinique et expérimentale, l’organisation du don d’organes , l’éthique de la transplantation et du don , les particularités pédiatriques de nos activité, la place des nouveaux médicaments, l’éducation thérapeutique, la communication et la place de la francophonie Les missions de la SFT sont larges et ne peuvent être décrites dans cette brève présentation de manière exhaustive. On retiendra cependant:
- Que la SFT est particulièrement attachée à soutenir la formation et la carrière des plus jeunes qui sont l’avenir de notre communauté. Ce soutien prend la forme d’allocations et de bourses de recherche de master et de thèse, de voyages à l’étranger, de participation à des congrès nationaux ou internationaux.
- Que la SFT intervient dans la transmissions des savoirs en organisant trois évènements qui rythment la vie de notre société : le congrès annuel qui permet de présenter toutes les avancées de recherche clinique et expérimentale et d’interfacer avec nos principaux partenaires industriels et institutionnels (ABM); les assises de la transplantation qui s’organisent habituellement des discussions entre experts sur tous les sujets d’actualité dans les domaines de la greffe ou du don d’organe ; Spring Hits qui permet d’entrer en profondeur dans une thématique de recherche clinique et ou expérimentale en rassemblant les principaux acteurs internationaux du domaine choisi.
- Que la SFT soutient et s’est faite ambassadrice du don d’organe en se rapprochant de la SFMPOT (Société Française de Médecine de Prélèvements d’Organes et de Tissus) avec laquelle elle mène en union avec les associations de patient des actions aussi diverses que des journées de sensibilisation, la réalisation de films de soutien ou la participation à la course du cœur.
- Que la SFT est particulièrement attentive à participer aux cotés des principales autorités de tutelles (ABM, HAS, ANSM, DGOS, CCAM, ARS, Directions de CHU …) aux débats nationaux qui intéressent les problématiques liées à la greffe et au don pour peser dans les principales décisions prises et qui dessinent l’avenir de nos activités.
J’ai pour ma part rejoint la SFT il y a fort longtemps alors que la société était Française et pas encore Francophone. D’abord simple membre, j’ai ensuite été élu au CA puis au Bureau pendant de nombreuses années au poste de Trésorier. J’ai pu voir une société qui a su se transformer au cours du temps grâce à la mobilisation des CA et des bureaux successifs pour mieux se mettre au service des activités de don d’organes et de transplantation. Puis, j’ai eu l’insigne honneur et le privilège d’accéder à la présidence il y a deux ans et la joie de travailler à la fois dans la continuité mais également dans la rupture pour donner une touche qui, je l’espère, aidera notre société à affronter son avenir.
Quel héritage pensez-vous que votre mandature laissera ?
LB : Ce n’est pas une question facile car je ne suis peut-être pas le mieux placé pour en parler. C’est à l’avenir et la communauté qu’il appartiendra de le dire avec un peu de recul. Si je devais cependant aller chercher quelques lignes de forces, je commencerais par un mode de gouvernance ouvert sur la subsidiarité, où chacun aura pu déployer ses talents au service du collectif. Ce mouvement s’enracine dans la certitude qu’il y a chez chacun un immense potentiel d’envie de réussir et de mieux faire au service des autres. Je crois qu’une de mes plus grandes joies est que celles et ceux qui ont travaillé dans l’équipe de cette mandature soient heureux et fiers de l’avoir fait. Je les remercie très sincèrement, toutes et tous, de s’être mobilisés pour la SFT et il y a là une mention toute particulière pour les membres du bureau.
Cette mandature aura été marquée, je crois, par :
– une ouverture de notre société à la voix des associations de patients. Cela nous manquait et nous pouvons aujourd’hui mesurer le chemin parcouru en constatant que nous sommes maintenant capables de discuter de sujets qui peuvent nous diviser, mais que nous sommes surtout capables de dessiner et de décider ensemble et d’une voix commune de l’avenir à donner aux activités pour lesquelles nous nous battons
– un combat acharné pour soutenir les activités de greffes et le don d’organes et pour la mise en œuvre du plan greffe 2022/2026. Jamais autant d’article de tribunes de rencontres à tous les niveaux et de prises de positions de la SFT n’ont été aussi nombreuses et relayé par une politique de communication offensive et totalement renouvelée. Cette mobilisation de la SFT a été notamment marqué par l’initiation d’un mouvement national de sanctuarisation des temps de bloc opératoire pour la réalisation des greffes de rein à partir de donneurs vivants, cosigné par les principales sociétés savantes et les associations de patients ;
– une forte mobilisation pour une sensibilisation au don d’organe, qui s’est appuyée sur l’émergence de nouveau combats avec les villes et les universités ambassadrices pour lesquelles la SFT est totalement partie prenante ;
– de nouveaux temps forts dans notre société. Nous avons essayé de trouver de nouvelles voies d’échanges dans notre communauté :
- entre chercheur et cliniciens en créant Spring Hits qui rassemblera chaque années les principaux experts nationaux et internationaux experts dans un domaine particulièrement saillant ou prometteur de nos activités.
- entre cliniciens chercheurs et industriel en créant le village de l’innovation qui s’implantera au sein du congrès annuel pour présenter de nouvelles technologie dans le domaine de la greffe ou du don.
– la volonté de donner à nos jeunes des repères d’excellence et des envies de réussite. Ainsi, le prix René Küss permettra à partir de cette année d’honorer une personnalité en fin de carrière qui a marqué la transplantation Francophone et qui est considérée comme un phare par ses pairs.
– un investissement financier pour l’avenir. Jamais, je pense, la SFT n’aura autant dépensé d’argent mais en contrepoint, autant lutté pour financer ses transformations. Un élargissement de nos partenaires industries nous permet aujourd’hui d’autofinancer une politique de communication offensive au travers d’un site internet qui fait l’objet d’une refonte totale. D’une ère où la communication s’apparentait à de la simple information, la SFT bascule aujourd’hui dans un mouvement ouvert sur les réseaux sociaux et vers les médias, dans lesquels nous n’avions pas l’habitude de nous exprimer, ce qui nous rend plus visible. Pour la première fois, nous sommes en mesure de nous positionner suffisamment rapidement pour apparaitre leader. Par ailleurs, en termes d’investissement pour l’avenir, les aides accordées aux jeunes pour la réalisation de leurs travaux scientifique ou leur déplacement ont été substantiellement augmentées.
Que vous enseigne finalement votre parcours et quels conseils pourriez-vous donner à celles et ceux qui vont accompagner la SFT ?
LB : Développer prendrait des heures mais en substance :
Qu’il n’y a pas de grand projet sans rêve,
Qu’il n’y a pas de rêve accompli sans combat,
Qu’il n’y a pas de combat sans travail,
Que lorsqu’on a des convictions qu’on pense moralement importantes, il faut être opiniâtre, ne rien lâcher et les défendre,
Que travailler seul et pour soi ne mène pas très loin et qu’il faut espérer dans les autres pour avancer et progresser,
Que l’intérêt collectif doit toujours rester au-dessus des intérêts individuels,
Que notre grandeur (richesse) ne tienne pas dans ce que nous possédons, mais dans ce que nous donnons, et qu’une des grande joie et satisfaction de la vie est de se donner pour les autres sans se préoccuper de cela rapporte,
Qu’accompagner une société dans sa croissance et dans ses évolutions, c’est être à fois dans une continuité qui honore le travail accompli par ses prédécesseurs, mais également dans une politique de rupture, qui permette des mouvements de transitions sans brutalité et que pour réussir dans ce domaine, il faut être artisan de paix en essayant d’être doux et humble de cœur.